Ar Soner a écrit:
Ce qui me mets un peu mal à l'aise dans ce texte, c'est qu'il m'évoque assez douloureusement certains débats que j'ai pu avoir IRL ou sur Internet... avec des personnes qui rappelaient les limites de la Science ou critiquaient des travers de la communauté scientifique (ce que je peux tout-à-fait comprendre), mais dans le seul but de mieux pouvoir disqualifier l'intégralité des éléments factuels qui leurs étaient opposés.
Je ne suis pas neutre sur le sujet, tu t'en doutes.
Mais j'avoue être assez surprise que ce texte aille jusqu'à susciter du malaise. Je pensais qu'il pourrait - éventuellement et tout au plus - provoquer une indifférence polie.
Pour répondre à ton argument, je pense pouvoir dire, sans peur de trop me tromper, que tu te fais peut-être une idée un brin caricaturale de l'auteur, qui n'est pas anti-sciences, comme tu as l'air de le craindre. Il faut recontextualiser: l'auteur est sociologue: son boulot, c'est de regarder au plus près les situations et d'en proposer des descriptions détaillées et fines. De ce fait, la plupart des arguments de son papier sont, pour moi, justes/justifiés et recevables. Si on veut tendre vers l'exhaustivité, ce sont des rappels qu'il convient - à mon sens - de faire. Reprenons, si tu veux bien, quelques arguments.
En préambule, il est écrit:
Citer:
Le problème surgit lorsque cette conception univoque de la preuve scientifique s’enracine dans un rationalisme exclusif, qui entend exclure a priori du champ des argumentations légitimes du point de vue scientifique, toutes les formes d’enquêtes et de recoupements, ainsi que toutes les formes de questions et d’hypothèses développées en monde ouvert et souvent formulées pour compenser l’absence d’explication scientifique au sens étroit, tout n’ayant pas pu être éprouvé de manière fiable et définitive en laboratoire.
Ici, il me semble qu'on énonce une évidence: tout ne pouvant être démontré de manière certaine et fiable entre les 4 murs d'un laboratoire, la précaution voudrait que l'on reste à l'écoute des signaux qui émergent dans le monde réel et que l'on ne se borne pas toujours à une conception trop stricte du régime de la preuve. Pour la bonne et simple raison que si tu fermes trop les "vannes", tu risques de ne pas voir remonter à temps les signaux et de ne pas savoir les prendre en compte avant une possible crise sanitaire (comme ce fut par exemple le cas avec l'amiante ou encore avec l'affaire du sang contaminé).
L'idée de fond est toujours celle-ci: il faut ouvrir au maximum les perspectives pour pouvoir multiplier les moyens d'action. C'est à la fois pragmatique et politique. Car, quand bien même la science ne démontrerait pas un danger imminent à propos de telle ou telle cause environementale (OGM, ondes, nucléaire, etc.), il n'en demeure pas moins que des acteurs, ici bas, observent des choses, les ressentent, développent des idées et réflexions autour de cela, et parfois même, développent des symptômes en conséquence (ex: les électro-sensibles). C'est quelque chose qui, dans tous les cas, doit être pris en compte. (Ou alors, on met juste ça sous le tapis en traitant ces gens de fous ou d'idiots, ou en faisant plus simplement comme si ça n'existait pas, mais je crois que nous serons d'accord pour dire que c'est une option qui n'est pas satisfaisante).
L'autre idée qui se cache derrière se texte est, je crois, celle du contre-pouvoir. D'ailleurs, un peu plus loin, tu dis:
Citer:
J'ai l'impression qu'il a simplement essayé de se faire l'avocat du diable et de proposer un contre-discours à l'approche rationnelle...
Je pense qu'il y a de ça, oui. Parce que les contre-pouvoirs, c'est essentiel, partout, tout le temps. Du coup, ce que tu sembles voir comme un problème, je le perçois personnellement comme quelque chose qui me semble au contraire sain et nécessaire.
Pour en revenir aux arguments abordés dans le texte (je ne vais pas trop détailler car j'ai un peu la flemme à cette heure, pour être honnête), on y lit entre autres que:
- concernant les statistiques, les question relatives aux choix du territoire de l'enquête ainsi qu'aux conditions de comparabilité des résultats entre deux territoires différents sont des questions "sévères". Je ne vois rien à redire à cela. Bien entendu que le choix d'un lieu plutôt qu'un autre sera déterminant dans l'obtention (ou non) de résultats. Et bien sûr que comparer entre eux des résultats obtenus
via des mesures qui ont été faites dans des conditions différentes est toujours ardu. D'où le fait qu'il faille toujours se reposer la question de la méthodo et des choix faits par l'équipe scientifique, qui peuvent toujours se discuter.
De la même façon, que vaudra une étude sur les ondes (c'est juste un exemple, tu peux remplacer par n'importe quoi ici) débutée en 2013 et publiée en 2016 si, entre temps, les fréquences ou le nombre d'antennes ont augmenté drastiquement? Comment être certain que les résultats que l'on a sous les yeux, fussent-ils pertinents à un moment
t, sont toujours d'actualité?
Bref, je pourrais continuer comme cela assez longtemps mais, de mon point-de-vue, ce sont là des questions de logique et qui devraient justement nous permettre de ne jamais perdre de vue notre sens critique... Ce qui ne revient pas non plus à dire que les études scientifiques n'auraient aucune valeur ou aucun intérêt. Juste qu'elles sont, comme tout le reste, faillibles et tributaires d'un tas incommensurable de facteurs qui peuvent et doivent sans cesse nous poser question, ne serait-ce que pour sans cesse améliorer l'état de nos connaissances et,
a fortiori, si l'on veut pouvoir un jour toucher du doigt un semblant de "vérité".
Citer:
Puisqu'il est bien connu que la neutralité axiologique parfaite n'existe pas, puisque l'on sait que certains labos ou équipes scientifiques sont à la solde de l'industrie agrophamarcochimique, alors les études scientifiques n'ont aucune valeur et les faits scientifiques n'engagent que les matérialistes obtus qui y croient. Et cela étant admis, on a les coudées franches pour parler tranquillou du compteur Linky qui est un complot gouvernemental pour nous abrutir à coup d'ondes toxiques et faire de nous de parfaits consommateurs obéissants, ou pour vendre des remèdes miracles à base de spiruline à des cancéreux éplorés.
Là pour le coup, peut-être ne suis-je absolument pas objective, mais ça me semble quand même être une caricature assez grossière de ce qui est écrit. Le texte me semble tout de même plus subtile que ça... Je t'avoue qu'à te lire, on pourrait presque penser que tu imagines ce texte écrit par un ignare ou un être extrêmement naïf... C'est certainement le côté affectif qui va parler ici, mais je trouve que ça pourrait même en être un peu vexant. Je ne peux pas t'apporter la preuve du contraire, mais je veux seulement dire qu'en termes d'esprit, de capacités, de culture et de vivacité intellectuelle, l'auteur n'a rien à envier à beaucoup.
Ar So a écrit:
Or, c'est un des soucis que j'ai avec la prose de l'auteur : les critiques qu'il adresse par exemple à l'étude de l'impact sanitaire des OEM relèvent complétement de la querelle de spécialistes. Elles sont largement incompréhensibles par des non-scientifiques.
Ce qui semble montrer que l'auteur n'est peut-être pas l'ignare caricatural qui a l'air d'être décrit ci-dessus. Il essaie juste d'être précis et pointu. Parce qu'on parle de science et qu'il est lui-même chercheur. C'est délicat - je trouve - de lui faire un procès sur ce point.
En revanche, je te rejoins entièrement sur le fait que certains passages sont jargonneux et pas faciles d'accès.
Ar So a écrit:
Ce qui me semble important, c'est qu'au niveau de granulométrie « grand-public », il y a un gigantesque consensus (quoi qu'il en dise) sur le fait qu'il n'y a pas de corrélation directe entre l'exposition aux OEM et électrosensibilité.
Ici, n'oublions pas que le texte date de 2009 et que 10 ans ont passé. Les faits te donnent raison. Mais comme je le disais plus haut, si l'exemple pris dans ce texte montre que l'auteur n'est pas toujours visionnaire (
), quelque part, peu importe: ce qu'il faut retenir, c'est surtout le raisonnement et les questions à se poser chaque fois que l'on se trouve face à ce type de controverses.
PS: Il est tard, je suis un peu fatiguée et, même en me relisant, je n'arrive pas à évaluer si mon ton est toujours approprié. J'espère donc ne pas avoir été maladroite dans ce message. C'est que c'est un sujet forcément un peu "sensible" pour moi, et mon ton peut parfois être emporté dans ce type de discussion, mais ce n'est pas du tout contre ta personne, j'espère que tu le sais.
PS2: Je réflechis et me dis que ce qui créé cette "cission"/cette réaction est peut-être une question de perspective. Si je devais résumer grossièrement, je dirais que ce qui semble "fâcher" est que tu as l'air de vouloir (légitimement) te concentrer sur les certitudes qui entourent la science, tandis que l'auteur met, lui, la focale sur les incertitudes. Ce sont là les deux faces d'une même pièce et, de mon point-de-vue, elles ont toutes les deux leur raison d'être.