J’ai découvert cette légende urbaine tout à fait incidemment en lisant un recueil de nouvelles du fameux écrivain gallois Arthur Machen (1863-1947), spécialisé dans le fantastique et notamment le folklore du « petit peuple » (fées, lutins, farfadets …) ; recueil intitulé
« Le peuple blanc » et paru en 1970 dans l’excellente collection de poche (quoique défunte depuis des lustres) Marabout Fantastique. J’ai trouvé utile de vous en parler ici car elle fait opportunément écho aux récents échanges qui se sont déroulés sur le présent forum au sujet des faux souvenirs et de la valeur heuristique du témoignage. De quoi s’agit-il ?
Le 23 août 1914, date du premier combat mené contre les Allemands par le corps expéditionnaire britannique à Mons, en Belgique, et alors que les deux armées s’affrontent, les Anglais se retrouvent encerclés et complètement débordés par la supériorité numérique et le "courage insensé" des Allemands, au point qu’ils se voient acculés à une manœuvre de retraite quasiment sans espoir de survie. C’est alors que serait apparu dans le ciel Montois un bataillon d’anges armés d’arcs à flèches venus prêter main forte aux soldats britanniques pris en étau entre l’armée allemande installée à l’est de Mons et celle occupant la ville. Appuyés par ces combattants divins, l’armée britannique réussit alors à échapper aux troupes allemandes stationnées dans la ville de Mons et ainsi se replier vers ce qui deviendra le front de la Marne.
L’origine de cette légende ? Une nouvelle d’Arthur Marchen intitulée
« Les Archers » publiée un mois après cet épisode guerrier dans le
London Evening News (le 29 septembre 1914) ; une nouvelle qui
« raconte qu’un soldat britannique, lors d’une bataille contre des soldats allemands, invoqua saint Georges. Aidés d’archers revenus directement de la bataille d’Azincourt, le saint patron de l’armée britannique mit en déroute l’armée allemande. L’auteur stipula, peu de temps après la parution de son œuvre, qu’il s’agissait d’une pure fiction qu’il avait écrite afin de soutenir le moral de ses compatriotes.
La rumeur se propagea rapidement en Angleterre. Durant les mois qui suivirent, de nombreux articles et ouvrages parurent relayant les témoignages de soldats ayant participé à la Grande Retraite. La légende prit diverses formes. Les anges apparus aux troupes britanniques étaient présentés de différentes manières : nuage lumineux, cavalier, chevalier ailé, etc. Des revues spiritualistes s’emparèrent du phénomène, tout comme l’Eglise protestante. Des sermons racontant la légende et l’intervention divine furent diffusés sur le front comme à l’arrière. Des artistes peignirent le phénomène et des œuvres musicales furent composées. La légende avait véritablement imprégné la société britannique, avec le soutien probable des autorités qui y voyaient un moyen de soutenir l’effort de guerre." (source :
https://www.paperblog.fr/7261639/les-anges-de-mons/)
Comme l’écrit joliment le traducteur et préfacier de la nouvelle, dans le recueil précité,
« les lecteurs ont voulu croire à sa véracité. Machen a reçu un abondant courrier de soldats affirmant avoir été témoins de cette intervention surnaturelle. Il a été très frappé par cette anecdote à laquelle il fait souvent allusion. Cette propagation de rumeurs correspondant aux aspirations inconscientes de la foule a été étudiée dans de multiples occasions mais nous en avons là un exemple frappant. Machen, qui cherche à nier, est traité d’impudent. La légende est née, il est dépassé par elle, mais il est devenu célèbre."Voilà de quoi rallier les sceptiques de tout bord pour qui, décidément, le degré de véracité d’un témoignages ne saurait avoir une valeur infinie…