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Vertiges de la biologie synthétique
22.05.10
Introduire un génome artificiel dans une bactérie pour en prendre les commandes, en réorienter le destin, en modifier à jamais la descendance. C'est l'exploit réalisé par le généticien américain Craig Venter et son équipe, au terme de quinze ans d'efforts et de 40 millions de dollars d'investissement. On ne saurait trop en souligner la portée, même si les étapes précédentes, à chaque fois largement médiatisées, avaient rendu cette issue moins inattendue.
En 2007 déjà, Craig Venter avait qualifié de "pas philosophique important dans l'histoire de notre espèce" la création par son laboratoire d'un chromosome synthétique. L'homme n'a jamais boudé la publicité et le scandale : c'est lui, pionnier du séquençage de masse aux National Institutes of Health, qui avait fait polémique en brevetant des gènes à tour de bras, dans les années 1990. C'est lui encore qui, passé au privé, avait défié la recherche publique dans la course au séquençage du génome humain - il a même poussé la malice jusqu'à choisir son propre patrimoine génétique comme matière première -, avant d'opter pour un finish ex aequo, en 2001, honorable pour les deux camps.
C'est donc lui encore qui donne à la biologie synthétique les moyens de ses ambitions : recréer la vie, façonner l'ADN qui en est le code, pour obtenir ce qu'on pourrait qualifier d'OEGM, des organismes entièrement génétiquement modifiés. Il ne s'agit plus d'introduire un ou plusieurs gènes d'une espèce dans une autre, mais de transplanter des génomes entiers.
Des bactéries pourraient être asservies pour produire de l'énergie, des médicaments, absorber du CO2... L'agroalimentaire sait déjà utiliser ces microbes. Mais Craig Venter, qui est aussi un entrepreneur, a breveté le procédé, et promet un changement d'échelle. Ce qu'il a fait pour la bactérie, il veut le réaliser pour des organismes plus complexes, comme l'algue.
Pourquoi pas pour l'homme, ou à défaut Neandertal, dont le génome vient d'être séquencé ? Il est d'ores et déjà légitime de poser la question et de s'interroger sur ses implications éthiques. Mais il faut rappeler que, entre le génome de la bactérie (un million de bases) et celui d'Homo (6 000 fois plus), le saut technique à réaliser laisse encore le temps de la réflexion.
La dernière percée de Craig Venter ne change rien à une menace déjà ancienne, engendrée par la biologie synthétique. Le virus responsable de la variole, dont un génome a été publié en 1994 (par un certain... Craig Venter), est bien plus facile à synthétiser - la séquence ne fait que 186 102 paires de bases. Les implications en termes de bioterrorisme supposent désormais de conserver en permanence des stocks de vaccins.
Faut-il appeler à un moratoire sur ces recherches et se priver de leurs bénéfices potentiels ? L'échec de la conférence d'Asilomar (Californie), en 1975, qui posait déjà la question, a montré que la science ne pouvait être stoppée. Une vigilance éclairée n'en est que plus nécessaire. Le démiurge américain lui-même a commandité, en 2007, un rapport proposant des pistes de "gouvernance". Cette excellente initiative ne doit pas rester sans lendemain.
http://www.lemonde.fr/planete/article/2010/05/22/vertiges-de-la-biologie-synthetique_1361477_3244.htmlFascinant... mais à la fois un peu effrayant.
Parce que tant qu'on respecte certains garde-fous éthiques, pourquoi pas... mais vu les potentialités de ce genre de techniques, on imagine les dégâts et les aberrations si elles venaient à tomber entre de mauvaises mains, ou juste être utilisées à mauvais escient...