Pour poursuivre la discussion avec Cortex, je vais de nouveau procéder en plusieurs messages car j'ai du mal à tout synthétiser en une seule fois et ai besoin de temps pour structurer ma pensée - j'espère que cette façon de faire n'est pas trop pénible pour vous...? (Auquel cas, Ar So, si personne ne poste entre temps, peut-être pourras-tu réunir mes messages en un seul?)
Cortex a écrit:
Je note néanmoins que jusqu’ici, la discussion s’est concentrée uniquement sur les gens qui emploient ces outils, et pas du tout sur les outils en eux-mêmes. Révélateur ?
Ce n'est pas tout à fait exact puisque j'ai dédié un paragraphe (très court, il est vrai) aux principes zététiques qui peuvent être parfois inefficients ou remis en cause selon les contextes.
Je pourrai en revanche difficilement développer plus puisque je ne pratique pas moi-même la zététique. Je pense en connaître quelques grandes lignes et outils, mais ce n'est pas un exercice auquel je me livre quotidiennement et j'aurai donc du mal à en rapporter les limites exactes.
Par contre, je vois assez nettement les dérives que cela entraine sur les réseaux sociaux et que tu évoques toi même (par exemple, quand on répond quasi systématiquement à son interlocuteur par des trucs du genre "Tu n'alignes que des sophismes", "Arrête avec ton homme de paille", voire - pour détourner le fameux running gag zet à l'encontre des "zozos" (de nouveau, que j'exècre ce terme!) qui fait fureur sur les RS : "Ta gueule, c'est quantique" - "Ta gueule, c'est zététique"...), et qui avortent dans l’œuf pas mal de débats.
Mais encore une fois, tu me répondras à juste titre que la zététique en tant que discipline n'est pas responsable des utilisations qui en sont faites et des dérives qui en découlent.
Cortex a écrit:
Deuxièmement, il faut aussi garder à l’esprit la « structure sociale » du milieu zététique. Nous n’avons jamais cherché à quantifier la chose mais, lorsque j’étais membre de l’Observatoire zététique, la majeure partie d’entre nous était issue de filières universitaires en sciences de la nature ou d’autres formations techniques. Avec mon cursus en histoire, je faisais plutôt figure de plante exotique. (NDLR: + tout ce qui suit)
Il me semble que nous entrons là dans le vif du sujet et que tu pointes très exactement un des principaux éléments qui contribue à me "fâcher":
quid des sciences sociales?
C'est - entre autres - ce qui est souvent objecté dans les débats qui tournent autour de la santé/l'environnement, du féminisme, etc. (bref, tous les sujets qui touchent de près ou de loin au politique) et que tu sembles confirmer?
Cortex a écrit:
Je l’ai constaté avec plusieurs membres de l’OZ : habitués à la démarche expérimentale des sciences « dures », où il est plus aisé de tendre vers l’objectivité parce que les instruments de mesure sont rarement faussés par la présence de l’être humain, ils avaient toutes les peines du monde à comprendre comment on pouvait produire du savoir dans des disciplines où s'approcher de la vérité est beaucoup plus difficile, en raison de la présence de l’humain comme source.
That's my point! Tu dis : "ils avaient toutes les peines du monde à comprendre comment on pouvait produire du savoir dans des disciplines où s'approcher de la vérité est beaucoup plus difficile". Or, ayant également fait ce constat, j'ai l'impression (oui, encore une foutue "
impression" difficilement vérifiable et quantifiable) que cela peut en conduire certains, plus ou moins consciemment, à discréditer une bonne partie desdites sciences sociales. Pourtant, l'exemple du féminisme est à ce titre éloquent: il me semble évident que les SHS offrent au contraire un apport extrêmement éclairant sur le sujet. Sans cet apport, on se prive d'une grosse partie des questions - essentielles - soulevées par ce débat, et donc, on se prive de pas mal de clés de compréhension.
De nouveau, j'illustre concrètement avec un exemple que je connais:
- nous avons tous entendu parler de l'étude Séralini. Je crois ne plus avoir besoin de vous la présenter ni de vous resituer la controverse qui l'a suivie. La communauté scientifique s'est attachée à démontrer de multiples façons pourquoi et comment cette étude était "viciée". C'est normal, sain et je n'ai rien à redire à cela. C'est quelque chose de
nécessaire pour la connaissance.
Là où ça commence à m'embêter un peu, c'est lorsque des zététiciens choisissent d'aborder ce sujet et de ne le traiter et l'analyser qu'au regard des sciences dures. Car ce qu'en disent les sciences sociales est tout aussi intéressant et vient en complément.
Qu'en disent les sciences sociales, me direz-vous? Ou plus exactement (pour ne pas extrapoler et généraliser): qu'en dit une partie/un courant des sciences sociales que je connais et que je suis donc capable de restituer ici (en vulgarisant et caricaturant à grands traits - vous fouillerez pour lire des choses plus fines si ça vous intéresse)?
Elles* en disent qu'il faut voir les choses au-delà du simple : "Son étude est biaisée", et les considérer dans leur contexte. Elles* (= *une partie des sciences sociales) font l'hypothèse que probablement, Séralini se moquait du fait que son étude soit bancale (voire même, que c'était à dessein) car son objectif ne se situait pas sur le plan scientifique mais au plan politique. On soupçonne qu'il voulait faire bouger les lignes (même s'il ne pourra jamais le dire de cette façon). Ce qui a bien fonctionné, d'ailleurs. (Voir par exemple cet article court et facile à lire:
http://www.alimenterre.org/ressource/le ... -polemique - je vous laisse approfondir vous mêmes si la question vous intéresse).
Quand on prend connaissance de ces éléments et hypothèses, ça permet de dépasser la seule question du vrai/du faux, du biaisé/pas biaisé et de ne plus juger cette étude uniquement sur des critères strictement scientifiques. On voit qu'elle a eu des effets politiques concrets et qu'en un sens, elle a été utile. Elle a permis de faire bouger les choses. On peut alors poser une regard plus nuancé sur toute cette controverse.
Je peux me tromper (et serais même ravie qu'on me démontre le contraire), mais c'est un discours que je ne crois pas avoir entendu beaucoup dans les milieux zèt. Ou alors très peu?
Citer:
En résumé, la culture scientifique d’une majorité de zététiciens actuels ne les prépare pas à utiliser correctement les outils zététiques sur un sujet de société qui, par définition, implique des enjeux humains et pas uniquement des données quantifiables.
C'est en effet aussi mon sentiment. En ont-ils conscience, d'après toi? De mon côté, je crois dans tous les cas que ça vaut la peine d'attirer leur regard là-dessus...
... sauf qu'on en revient-là à notre éternel paradoxe: comment prétendre traiter de sujets impliquant des enjeux humains sans verser dans le politique? Tu sembles dire que c'est simple et qu'il suffit de ne pas mélanger les genres. Ou alors je n'ai pas compris ton propos? Est-ce à dire que les zététiciens devraient abandonner toutes les thématiques qui touchent aux vaccins, à l'homéopathie, aux questions santé/environnement? Si ce n'est pas le cas,
comment penses-tu qu'ils puissent concilier les deux?