Nous en avions parlé très rapidement
sur ce topic consacré au yéti ; après avoir creusé le truc, je pense que cette histoire mérite son propre thread...
La NAWAC* (
North American Wood Ape Conservancy) est une organisation dévouée à l'étude du
wood ape (il s'agit ni plus ni moins du sasquatch/bigfoot, mais comme ces termes-là sont très connotés, ils ont jugé préférable de ne pas les utiliser).
Elle vient de sortir
The Ouachita Project Monograph, le fruit de plusieurs années d'observations sur le terrain, réalisées dans les montagnes Ouachita dans l'Oklahoma. Pendant 4 ans, des équipes de 4 - 5 personnes se sont relayées sur place de façon à assurer une présence permanente sur la zone ; des abris ont été installés, ainsi que divers pièges, caméras automatiques, enregistreurs...
... Et le moins qu'on puisse dire, c'est que leurs résultats sont assez troublants. La NAWAC a ainsi documenté :
- des jets de pierre (
beaucoup), lancés (le plus souvent pendant la nuit) contre les abris dans lesquels étaient installés les observateurs, voire parfois dirigés contre les observateurs eux-même lorsqu'ils étaient en extérieur. Dans quelques situations, c'est une véritable pluie de pierres qui s'est abattue sans discontinuer pendant plusieurs minutes sur les abris !
- des
wood knocks (
beaucoup), c'est-à-dire des bruits sourds semblables à ceux que l'on ferait en tapant sur le tronc d'un arbre avec une batte de baseball. Dans de nombreuses situations, les bruits semblaient venir de différents endroits et présenter un pattern rythmique défini ; dans quelques rares cas, les chercheurs pensent même avoir réussi à « communiquer » avec, un coup de leur part entraînant peu de temps après une réponse.
- des bruits métalliques (
beaucoup) : utilisation de rochers ou branches frappés contre des supports en métal ;
- des bruits de mouvements de marche bipède à travers la végétation ;
- des arbres endommagés de façon non naturelle, cassés ou déracinés ;
- des vocalisations : grognements, sifflements (trahissant un pattern rythmique ou une forme de communication comme les
wood knocks) cris graves et aigus, et faux speech (la forme de
pseudo-langage que peuvent pratiquer certains grands singes en captivité pour imiter l'homme)
- des odeurs animales fortes (décrites comme proches de « la sueur de cheval »
- je n'ai jamais senti de cheval en plein effort, et vous ?) généralement associées à ces manifestations sonores ;
- quelques empreintes de pieds ;
- 2 stations de broyage de noix, c'est-à-dire, une grosse pierre plate et d'autres pierres de taille plus modestes servant à écraser les noix pour les manger ;
- des échantillons de sang ou de poils indéterminés ;
- enfin, une poignée d'observations visuelles (en plein jour ou à la jumelle à vision nocturne) d'animaux bruns, roux ou noirs semblables à de grands singes bipèdes.
Exemple d'empreinte de pied relevée par la NAWAC en 2011 Soyons honnête : je n'ai jamais cru au bigfoot. Pour moi, il relève de l'archétype de l'homme sauvage qui est répandu dans toutes les cultures humaines à travers le monde (de la même façon que la figure du dragon). D'un point de vue rationnel, il est très difficile d'imaginer comment une population conséquente de grands singes pourrait vivre complètement inaperçue sur le territoire américain, qui a beau être vaste et plein de coins encore bien sauvages, n'en reste pas moins quadrillé par la présence humaine. Ajoutons à cela qu'il n'y a toujours pas de preuve vraiment indiscutable à se mettre sous la dent, et qu'un certain nombre de témoignages complètement fantaisistes ont contribué à ruiner la crédibilité qu'on pouvait accorder à l'affaire...
Bref, j'aurais spontanément tendance à ranger le sasquatch dans la même catégorie que Nessie : un bon gros standard de la cryptozoologie mais une très probable fumisterie.
Pourtant, je dois l'avouer, je ne suis plus si sûr d'avoir cet avis suite à la lecture du rapport du Ouachita Project de la NAWAC.
Je n'irais pas jusqu'à dire
« j'y crois, c'est certain qu'il y a quelque chose dans les montagnes de l'Oregon »... mais la NAWAC apporte de nombreux éléments circonstanciés et réellement troublants, qui ne peuvent pas être écartés d'un simple revers de la main et qui contribuent sérieusement à semer le doute.
L'un des premiers arguments qui devrait inciter à se pencher sur le travail de la NAWAC est le nombre de personnes impliquées dans le projet : au total, une bonne dizaine de participants ont participé aux observations de terrain et ont pu y assister à des degrés divers. Et par "participants", on ne parle pas de Joe le redneck ou de Bobo de
Finding Bigfoot : il s'agit de vrais chercheurs diplômés en biologie, anthropologie, primatologie... avec une certaine expérience du terrain (beaucoup sont des naturalistes ou des chasseurs).
Précisons également que la majorité d'entre eux évoluaient en dehors de la communauté des "chasseurs de bigfoot", on n'est pas donc pas
a priori face à une bande d'afficionados déjà convaincus de ce qu'ils vont trouver sur le terrain.
Le second argument est le nombre, la diversité et la qualité des phénomènes enregistrées ; beaucoup des observations correspondent effectivement à des comportements qu'on attendrait de véritables signes. Les membres de la NAWAC ont, au demeurant, de très bonnes connaissances en primatologie, c'est bien perceptible dans le rapport.
La possibilité d'un hoax réalisé par la NAWAC elle-même ne peut pas être écartée, mais c'est une explication qui n'est pas forcément très crédible (vu le nombre de personnes impliquées et leur réputation qui en prendrait un coup dans le cas où le canular serait découvert) et qui est peu satisfaisante d'un point de vue intellectuel (crier au canular, c'est un peu l'argument infaillible qui fait fi de la présomption d'innocence...).
L'hypothèse que la NAWAC soit elle-même mystifiée par une bande de plaisantins n'est pas à écarter non plus... mais elle est peu probable compte-tenu de l'implication que cela demanderait de la part des auteurs du canular : les observations ont été réalisées en continu pendant 4 ans, à toute heure de la journée et par tous les temps. Rappelons également que la NAWAC s'est installée dans un endroit très reculé et difficilement accessible, dont la localisation est tenue secrète pour le moment.
L'une des stations de broyage de noix identifiée par la NAWAC
Le travail de la NAWAC n'est cependant pas exempt de défauts et de zones d'ombres. Si on veut jouer au vilain sceptique, on peut notamment pointer du doigt l'absence de réelles preuves concrètes et
directes de ces
wood apes.
Les observations visuelles sont très peu nombreuses (une petite dizaine) et de mauvaise qualité : de simples formes sombres et furtives, souvent plus distinguées du coin de l’œil que vraiment observées. En outre, j'ai l'impression (mais cela demanderait vérification) que ce sont un peu toujours les mêmes personnes qui en sont à l'origine... Et le spectre de la confusion d'origine humaine — voire de la mystification — rôde toujours dans l'esprit du sceptique !
Malgré la pose de caméras (infra-rouges et conventionnelles), aucune photo ou vidéo de bigfoot n'a pu être produite ce qui est assez difficile à expliquer. La NAWAC a avancé l'hypothèse que les
wood apes éviteraient les endroits où sont posées les caméras car ceux-ci présentent des signes trop évidents de présence humaine, ou qu'ils pourraient distinguer les infra-rouges émis par les caméras nocturnes qui les feraient fuir, mais pour être franc, c'est un peu une explication
ad hoc.
Les empreintes de pieds sont peu claires (en tout cas, sur photos). Enfin, les échantillons de sang et de poils se sont révélés après analyses être d'origine humaine (pour les poils) ou de nature non déterminée mais clairement pas sanguine (pour le sang).
En fait, le déséquilibre entre ces indices directs (peu nombreux, peu concluants) et la MASSE des jets de pierres,
woodknocks, bruits métalliques et autres sons étranges (qui eux sont bien documentés) est tel que pendant un long moment pendant ma lecture du rapport... je me suis demandé si la NAWAC n'était pas en face d'une forme de "poltergeist" forestier ! Il ne manque que les petits tas de pierre devant les abris des chercheurs et on se croirait dans le projet Blair Witch !
Bref, j'avoue ne pas trop savoir quoi en penser. Ce qui est certain, à mon sens, c'est que la NAWAC est une groupe à suivre de près à l'avenir.
Si vous voulez jeter un oeil à leur boulot, le rapport
The Ouachita Project Monograph peut être
téléchargé sur leur site ; il fait près de 200 pages et est (bien sûr) tout en anglais. Il est bien écrit et ne fait pas du tout dans le sensationnalisme ; c'est même plutôt l'inverse, le côté « catalogue d'observations » le rend parfois un peu rébarbatif (j'ai dû m'y reprendre à 5 ou 6 fois pour le lire en intégralité).
Différents extraits sonores de jets de pierre sur les abris,
wood knocks, bruits métalliques... et même de supposées vocalisations sont disponibles sur
le site Internet de la NAWAC. Je vous laisse y jeter un oeil si ça vous intéresse.
* On s'abstiendra de faire tout commentaire sur la prononciation « à la française » de l'acronyme.