Oh, ca va !
On y est bientôt en 2009 !
Ca va encore être la fête de mon estomac...
Cortex a écrit:
C'est très différent de procès de sorcellerie qui apparaissent au XVème, menés par des juridictions civiles et dans lesquels intervenaient, rarement et sur demande des autorités laïques, des inquisiteurs n'ayant aucune prérogative particulière et qui étaient plutôt là en tant, dirait-on aujourd'hui, "d'experts".
Pourtant, avec la publication de la bulle
Super Illius Specula (v. 1326), Jean XXII (1316-1334) assimile la magie et la confection d'objets magiques à un crime hérétique, susceptible d'être pris en charge par l'Inquisition.
Cortex a écrit:
Non. Je pensais plutôt au fait que les chasseurs de sorcières, clercs ou non, puisent leur représentation du sabbat dans les activités que l'Inquisition médiévale prêtait deux siècles plus tôt aux hérésies et autres "contre-églises" qu'elle combattait.
Voici comment Claude Fleury décrit les activités des "manichéens" dans son
Histoire Ecclésiastique tome 13 (1691). Son oeuvre traite de la période comprise entre la naissance du christianisme et 1414.
Citer:
« Ceux-ci s'assemblaient certaines nuits dans une maison marquée, chacun une lampe à la main, et récitaient les noms des démons, en forme de litanies, jusqu'à ce qu'ils vissent un démon descendre tout d'un coup sous la forme d'une petite bête. Aussitôt ils éteignaient toutes les lumières, et chacun prenait la femme qui se trouvait sous sa main pour en abuser, et l'enfant né d'une telle conjonction était porté au milieu d'eux huit jours après sa naissance, mis dans un grand feu et réduit en cendres. Ils recueillaient cette cendre et la gardaient avec autant de vénération que les chrétiens gardent le corps de Jésus-Christ pour le viatique des malades. Cette cendre avait une telle vertu qu'il était presque impossible de convertir quiconque en avait avalé aussi peu que ce fût.
Ce récit a tant de rapport avec les calomnies dont on chargeait les premiers chrétiens, qu'il semble en être imité; mais la chose est rapportée ainsi par un auteur du temps. Un autre dit seulement que ces hérétiques portaient avec eux de la poudre d'enfants morts, et que, s'ils pouvaient en faire prendre à quelqu'un, ils le rendaient aussitôt manichéen comme eux. »
Difficile de ne pas y voir les éléments constitutifs du sabbat des sorcières. Pourtant, Fleury y désigne des hérétiques qu'il nomme indistinctement "manichéens". Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres que j'essaye de collectionner.
Je viens de découvrir que Laurent Vissière, maître de conférences en histoire médiévale à Paris IV-Sorbonne, confirme mon intuition :
Citer:
9 Le terme "sabbat" a pour origine le jour de repos des juifs.
Faux. Cérémonie rituelle, singeant la messe catholique, attestée dès le XIVe siècle, le sabbat se tient généralement le vendredi. Il n'a rien à voir avec le shabbat juif et tire son origine des vaudois, secte hérétique condamnée par l'Eglise au XIIe siècle, dont les adeptes portaient des sabots, les sabats .
Je pense sincèrement qu'il y a eu un glissement abrupte des crimes d'hérésie vers les convictions de sorcellerie. L'élément déclencheur peut être le grand chisme et l'apparition d'un "contre-pouvoir religieux" en la personne des trois papes ; les uns et les autres se rejettant cette position d'antéchrist.
En cherchant bien...
Le glissement s'est basé sur les investigations de l'inquisiteur Conrad de Marburg. Les informations qu'il délivra au pape ont été relayées dans la bulle
Vox in Rama (1233) où on a une description subjective de cérémonies hérétiques assimilées au satanisme :
Citer:
« Lorsque le novice entre dans cette demeure de perdition, c'est une sorte de grenouille, que d'aucuns appellent crapaud, qui lui apparaît en premier lieu. Les uns le baisent honteusement au derrière, les autres sur la bouche, prenant sa langue dans leur propre bouche et recevant sa bave. Cette bête apparaît parfois de sa taille naturelle ; d'autres fois elle est grosse comme une oie ou un canard ; le plus souvent elle a les dimensions d'un four. En avançant, le novice rencontre un homme étonnamment pâle, aux yeux fort noirs, tellement maigre qu'il paraît n'avoir que la peau sur les os. Le novice l'embrasse et le sent froid comme glace. Ce baiser lui fait perdre tout souvenir de la foi catholique. On passe ensuite à table. Puis on se lève, le repas terminé. Alors, d'une colonne, comme il en existe dans les salles de ce genre, descend à reculons un chat noir, de la grosseur d'un chien de taille moyenne, la queue relevée en arrière.
Le novice en premier, puis le maître, puis enfin chacun des autres assistants, selon son rang, le baisent, du moins ceux qui en sont dignes et parfaits. [...] Cela fait, les chandelles sont éteintes et l'on passe aux plus dégoûtantes oeuvres de la luxure sans distinguer entre parents et étrangers. Si les hommes sont en plus grand nombre que les femmes, ceux qui sont en surnombre satisfont entre eux leurs passions honteuses et de même, si des femmes se trouvent en surnombre, elles satisfont entre elles, contre la nature, leurs désirs coupables.
Puis, tous ces honteux plaisirs consommés et ces crimes si détestables accomplis, les chandelles sont rallumées et chacun reprend sa place. D'un coin obscur de la pièce, où ne manquent point les hommes les plus perdus, sort un homme au corps éclatant et plus brillant que le soleil au-dessus de la ceinture, mais au-dessous poilu comme un chat. Sa clarté illumine toute la pièce. Alors le maître, enlevant une partie des vêtements du novice, dit à cet homme lumineux : "Maître, je te donne ce qui m'a été donné." Et l'homme lumineux répond : "Tu m'as bien servi à plus d'une reprise, tu me serviras encore mieux, je confie à ta garde ce que tu m'as donné." Tout de suite après ces paroles, il disparaît. »
Sorry pour les rééditions multiples, mais je pense que cela était nécessaire.