Je viens de finir la lecture de
La Terre plate. Généalogie d'une idée fausse et j'en ai pensé beaucoup de bien.
Il s'agit d'un ouvrage qui remet à plat (heh) l'histoire et l'évolution du terre-platisme, de l'Antiquité grecque à nos jours. Il rappelle très justement que les Grecs ont découvert que la Terre était ronde, savoir qui s'est ensuite transmis aux Latins, puis au Moyen-Âge européen. Il rappelle également que si l'Europe médiévale a perdu un certain nombre de connaissances antiques, la rotondité de la Terre faisait partie des connaissances les plus basiques, et n'était inconnue de personne (du moins parmi les lettrés et leur entourage). De tête, Isidore de Séville et Bède le Vénérable en font mention, tout comme les divers ouvrages de sciences et de géographie maintes fois recopiés et destinés aux universités. Même des œuvres littéraires de l'époque emploient des expressions telles que "tout autour de la Terre" ou "le globe" sans les contextualiser, preuve que leur sens était évident pour tous.
Il n'y avait pour ainsi dire personne pour s'opposer à l'idée d'une Terre sphérique, même si certains docteurs de l'Église (très minoritaires) mettaient en doute la possibilité que des êtres humains pussent vivre aux Antipodes (ce qui est très différent).
Le mythe d'une croyance médiévale à la Terre plate apparaît d'abord chez Voltaire, qui entretient un flou artistique entre "le Moyen-Âge ne croyait pas aux Antipodes" et "le Moyen-Âge croyait que la Terre était plate", en citant notamment Lactance, un théologien romain de l'Antiquité tardive hétérodoxe, par ailleurs excommunié pour ses positions quant à la nature du Christ (ne m'en demandez pas plus, je n'ai plus cela exactement en tête). Le mythe n'apparaît ensuite vraiment qu'au XIXe siècle, suite à l'action concomitante de plusieurs idéologies : l'anticléricalisme veut mettre sur le dos de l'Église (notamment catholique) une arriération de l'esprit scientifique qu'illustrerait très bien un prétendu refus de la rotondité de la Terre ; les thuriféraires de Christophe Colomb veulent en faire le héros qui reforma le monde ; les historiens ont besoin de marqueurs clairs de la séparation entre le Moyen-Âge et la Renaissance ; certains recherchent également un parallèle à l'opposition entre Darwin et la religion... tous citant, systématiquement, Lactance, pour appuyer leurs propos.
Bref, c'est à partir de 1830 qu'apparaît le mythe d'un Moyen-Âge terre-platiste, et des trois héros civilisateurs (Colomb, Copernic, et Galilée) qui lui auraient rendu sa forme réelle. Le livre se conclut de façon un peu sombre, rappelant à quel point ce mythe a gangréné l'imaginaire collectif actuel, et à quel point il sera dur de lutter contre.
Alors il faut bien dire que c'est un ouvrage avant tout scientifique et historique au style un peu sec, et qu'il ne se lit pas pour ses qualités d'écriture. Mais je l'ai trouvé extrêmement intéressant pour le salutaire rappel de ce fait :
au Moyen-Âge, personne de sensé ne pensait que la Terre était plate. Et ça, ça fait toujours du bien de le dire.